dimanche, novembre 06, 2005

LE BATEAU DU MILLIARDAIRE



Au début des années 80, j'ai eu l'occasion d'aller travailler à Palma de Majorque sur un de ces bateaux qui font rêver, amarrés aux pontons des marinas de luxe...

l'"Orejona" était à vendre, et pendant mon séjour, elle n'a pas quitté le port.

Ce que je vous propose, c'est une petite visite guidée... suivez-moi, on monte la passerelle !





L ‘ »Orejona » était une goélette de 100’, soit environ 35 m de long. Elle avait été construite en Hollande par le chantier Cammenga, sur des plans De Vries Lentsch. Le propriétaire avait notablement participé à l’élaboration des aménagements intérieurs.

Celui-ci avait fait fortune dans le bâtiment, vendu ses sociétés, et vivait à bord de son bateau depuis plusieurs années.


Le bateau était construit en acier. Il contenait dans ses flancs la bagatelle de 15 000 litres d’eau douce, et de 16 000 litres de gas-oil ! Ce qui procurait déjà une autonomie appréciable…

Le pont était bien entendu recouvert de teck, et l’on se serait miré dans les vernis des portes et mains courantes.

Au pied de la passerelle (recouverte d’un tapis rouge), une sonnette prévenait de l’arrivée d’un éventuel visiteur.

La poupe du bateau avait été construite en acier blindé, pour pouvoir résister aux attaques de pirates éventuels. !

Plus étonnant, la table de l’immense cockpit pouvait s’enlever, son pied se transformant en affût de fusil-mitrailleur !! (qui se trouvait à bord…)

Le propriétaire était certes prévoyant, mais un peu paranoïaque, d’autant que cette superbe unité, apte à tourner autour du monde, n’avait jamais dépassé l’archipel des Baléares.

Sur le pont, amarrés dans différents endroits, se trouvaient 5 annexes ou petits dériveurs, de quoi occuper un peu les loisirs des trois enfants qui vivaient à bord. Car le bateau, vu le très fort tirant d’eau de 3m60, restait la plupart du temps au mouillage lorsqu’il était en croisière.

Sur le modèle classique de nombreux yachts à moteur, les aménagements intérieurs de l’ »Orejona » étaient divisés en trois parties principales :


Tout d’abord un immense salon, aux moelleux canapés et fauteuils assortis d’une grande table et de petits guéridons. C’était le lieu de réunion de la famille.

Toute la partie arrière desservait ce que l’on peut appeler les appartements du propriétaire : la coursive sur moquette desservait les chambres : dans l’ordre « Versailles », « Chambord » et « Trianon »…
Chambres du propriétaire, des enfants, des amis… avec bien entendu pour chacune une salle d’eau particulière.

Une chambre particulière était réservée au propriétaire en propre, sorte de garçonnière indépendante, appelée la « chambre du capitaine », et qui communiquait avec la timonerie par un escalier en colimaçon.


Toute la poupe du bateau était réservée au « half-moon saloon », sorte de fumoir, de lieu de détente où étaient disposés un projecteur de film et un orgue à deux claviers.

Venant du salon, vers l’avant, en contre-bas, se trouvait la cuisine, disposant bien entendu de tout le confort indispensable. Une porte étanche donnant dans celle-ci permettait de se rendre, en plus de l’ouverture par le pont, dans la salle des machines.

Au milieu de cette dernière trônait l’énorme moteur MVM de 500 cv, avec disposés autour l’établi, les 3 générateurs, l’établi du chef mécanicien, son bureau, le tout ceinturé et bardé d’innombrables tubulures, manomètres, disjoncteurs et cadrans divers…

La partie avant était dédiée à l’équipage (normalement une demi-douzaine de matelots anglais en navigation).

On y trouvait tout d’abord le « crew mess », leur salle à manger, puis la chambre du second, celle du mécanicien, celle de l’hôtesse, et enfin le poste d’équipage à l’extrême avant, avec les classiques couchettes superposées.


La timonerie était un des points névralgiques du bateau. A l’époque où je vous parle, pas d’instruments sophistiqués, de GPS ni même de SATNAV, ceux-ci étant apparus après.

Par contre un écran radar de bonne taille, une machine à faire le café, pour que le timonier tienne le coup, et… une selle de moto inconfortable, spécialement installée pour qu’il ne s’endorme pas


La barre à roue était superbe, avec son petit capuchon central en cuivre..

Je suis resté un peu plus de quatre mois sur le bateau, avec femme et enfant. Chargé des visites avec les brokers, et de l’entretien courant, le travail aurait pu être très agréable, si le propriétaire n’avait eu la mauvaise idée de vouloir venir passer quelque temps à bord.

Je me suis donc ajouté à la liste de ceux que j’avais pu trouver en ouvrant le cahier marqué « punitions – désertions » ! dans lequel ce dernier consignait soigneusement remarques et brimades !

Mais c’est une expérience que je ne regrette certes pas !!

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dimanche, octobre 30, 2005

LA TORRENTADA




Nous sommes arrivés l'avant-veille à Porto-Cristo, sur la côte SE de Majorque. Le gars de la marina nous a fait de grands signes pour venir se placer à un ponton.

Connaissant le coin, j'ai fait celui qui ne voyait rien et suis allé me mettre en face, au quai public : mouillé sur ancre par l'avant, deux amarres à l'arrière. J'ai eu le nez rudement creux de ne pas aller à la marina. On va voir pourquoi !...

Ce matin nous sommes réveillés par la pluie. Pas une pluie bretonne : ce sont des cataractes d'eau qui tombent sur HAYADORI, notre Endurance. Il est à peu près 6 h. Celà va durer sans interruption pendant environ 2 heures au moins.

Quand la pluie cesse, nous entendons comme un bruit de torrent. Et c'est bien de ça qu'il s'agit : j'ouvre le capot de descente. La rivière s'est transformée en torrent de boue café au lait. Hayadori, comme ses voisins (je suis entre un ketch anglais, et un américain) a dérapé de l'avant sous la force du courant et est à 45° du quai, juste tenu par ses amarres AR.

Et dévalant la rivière, je vois passer une... Ford Fiesta en tournoyant parmi les branches mortes ! Je prends conscience alors qu'il se passe des choses bizarres.

Puis c'est un Maldives qui part à la dérive et qui va s'échouer sur la plage. Et aussi un grand ketch, qui a moins de chance et qui s'écrase sur la digue, les haubans qui se rompent... Tous deux viennent de la marina en face, où c'est un spectacle de désolation : pontons désarticulés, bateaux enchevêtrés, plaisanciers affolés, certains ayant eu à peine le temps de s'habiller. Nous apprendrons par la suite qu'une demi-douzaine de bateaux ont coulé (et l'on verra d'ailleurs le lendemain juste les mats émerger de l'eau ; quel triste spectacle !)

L'eau continue de monter. J'ai eu le temps de doubler mes amarres, mais celles-ci commencent à pêter, sous la force du courant. D'autant qu'une grosse vedette à la dérive elle aussi est venue se coincer dans la chaîne de l'anglais, et pèse de tout son poids sur nos avants. Le voisin ne fait ni une ni deux : scie à métaux, et coupe sa chaîne. La vedette enfin libérée s'en va continuer son chemin vers la mer...

C'est le sauve qui peut : l'américaine a côté ressort avec des affaires, ma femme commence à en préparer pour nous. Je mets de la chaîne à l'arrière aux bittes du quai pour retenir Hayadori, qui menace bel et bien de s'en aller lui aussi à la dérive.

L'eau a dépassé maintenant le niveau du quai. Je suis toujours à bord pour règler mes amarres.

Et soudainement, c'est la décrue. L'eau baisse presque à vue d'oeil. Mais le talon de quille d'Hayadori est monté sur le quai, et, retenu sur son arrière, l'avant commence à plonger dans l'eau. Je largue la chaîne, et donne du mou aux amarres, et Hayadori glisse du quai pour retrouver une position plus normale...

Evidemment celà fera les gros titres dans les journaux du lendemain. Par chance, il n'y a eu ni morts, ni blessés. Le pont qui relie les deux parties de la ville s'est écroulé sous la puissance des eaux.

C'était la "torrentada"...

mercredi, octobre 26, 2005

SORTIE HIVERNALE

Il faisait froid. Encore plus froid qu'au cœur de la nuit, constata Tim. Les étoiles, qui avaient brillé très fort, n'allaient pas tarder à pâlir, pour laisser la place à un soleil timide. On était à la fin janvier, et la température devait flirter avec le zéro.

Engoncé dans son ciré doublé de plusieurs pulls, Tim était à la barre depuis la veille au soir. Il regardait les petites crêtes phosphorescentes qui jouaient à rattraper son bateau. Oui, il faisait froid, et pourtant il n'aurait donné sa place pour rien au monde.

"Seul maître à bord… La formule consacrée" pensa-t-il. Il n'avait de comptes à rendre à personne. Le seul compte-rendu qu'il aurait pu faire, c'était celui du bonheur. Celui d'être libre, par-dessus tout. Libre de choisir sa route, d'élire son point de chute. Et il se retrouverait dans la matinée dans quelque port de pêche, ceux qu'il préférait. Parce que les odeurs de poisson et de varech y ont un parfum violent, parce que les couleurs des bateaux y sont plus chaleureuses, et que les hommes qu'il y trouverait lui ressemblaient. "Garce de mer…" disaient-ils. Mais aucun n'aurait voulu changer de métier.

Lors d'une de ses dernières sorties, il avait passé la nuit blotti contre une coque en bois. Un léger frottement l'avait sorti de sa somnolence. Passant la tête par le capot, il vit une énorme muraille qui le dominait de plusieurs mètres, glissant sur l'eau du port à venir le frôler : un thonier qui rentrait… Une voix calme à l'accent patoisant lui avait dit, du haut de la lisse :
- Dors, mon gars, dors. Faut pas te déranger pour nous.
Et il s'était endormi pour de bon, veillé par les lampadaires du quai, en pensant à la délicatesse de ces pêcheurs qui avaient fait leur possible pour ne pas le réveiller, lui qui s'était mis, sans le savoir, à leur place…

Le jour était maintenant levé depuis une bonne heure, quand il franchit les passes avec le flot, et accosta le long du môle, à la voile. Après s'être amarré, il put enfin descendre dans la cabine et se faire un café brûlant.

Aux premiers temps de son apprentissage, Tim s'était longuement entraîné à faire des manœuvres à la voile, accostage d'un quai ou prise de corps-mort. Il s'en félicitait maintenant, car son vieux moteur avait tendance à lui jouer des tours. Et puis surtout pour la beauté du geste, pour la satisfaction d'une manœuvre réussie sans avoir cédé à la facilité, pour le plaisir.

Il ressentit d'un coup la fatigue de la nuit. Il ferma le capot et laissa le petit gaz allumé, afin qu'il se créé un peu de chaleur. Puis il s'allongea sur sa couchette, enlevant juste son ciré. Son esprit flottait entre veille et sommeil, cet état second fait de rêve et de réalité. Il n'eut que le temps de couper le gaz, à portée de main, avant de sombrer.

Réveillé un peu plus tard par le bruit d'une pinasse qui venait s'amarrer derrière lui, il se refit un café, qu'il avala bien chaud, et sortit.

La mer était haute. Enchâssé entre ses maisons aux toits gris, le port hivernait. Une mouette le survola en piaillant un long cri plaintif, et alla se poser sur la pomme de mât d'un bateau bâché. Le soleil perçait difficilement la brume bleue et ténue qui cachait les lointains.

Le vent d'Est qui l'avait si bien poussé cette nuit avait considérablement molli. "Il faudra que j'en tienne compte pour rentrer demain" pensa Tim.

Il se dirigea vers la boulangerie, qui se trouvait à deux pas, y acheta pain et chocolat, puis à l'épicerie d'à côté pour quelques provisions, poussa enfin la porte d'un des bistrots du port.

Tim aimait cette ambiance chaude et animée des cafés de pêcheurs, où il se berçait des vois rauques et rocailleuses qui parlaient de mer.

Au bar, il commanda un ballon de rouge. Les hommes s'étaient tus lorsqu'il était entré, puis les conversations avaient repris. Deux d'entre eux étaient accoudés près de lui. Le plus âgé, en vareuse et casquette bleue, se retourna :

- Des plaisanciers dans le coin par ce temps-là, on peut pas dire qu'on en voit beaucoup. C'est vous qu'êtes amarré au môle ?

- Oui, répondit Tim. Le temps de déjeuner. J'ai fait route cette nuit. Je repars tout à l'heure pour
mouiller en face de l'île. Une traite de quelques milles. Demain je repars chez moi.

- Eh! ben mon vieux, dit l'autre en levant les sourcils, faut en vouloir… Moi je mettrais pas mon
chien dehors. Nous, c'est pas pareil, il faut y aller. Mais quand on n'est pas obligé !…

Un groupe, au bout du comptoir, s'était arrêté de parler. Ils écoutaient. Ils attendaient ce que Tim allait dire. Ils pressentaient une bonne histoire à raconter aux autres, ceux qui n'étaient pas encore rentrés, celle du fêlé qui "fait du bateau" quand il gèle.

- Si je veux naviguer, c'est hors saison que je peux le faire, dit Tim. Je travaille dans un port
de plaisance, et c'est pendant les vacances des autres qu'il y a le plus de boulot. – l'homme à la casquette faisait signe à la patronne de remplir les verres – et ça me convient tout à fait. Vous voyez, j'aime la mer, et j'aime l'hiver. L'eau et le ciel ont des couleurs différentes. On y voit des éclairages, des nuages qu'on ne verra jamais en été.

- On y voit surtout des coups de chien, mon gars, lança un des hommes du groupe. Les autres rirent.
- Le mauvais temps, ça se prévoit, répondit Tim. Je ne suis pas inconscient. J'aime bien la brise, mais j'irais pas me jeter dans la gueule du loup. Au port, on suit la météo. En venant ici, j'étais assuré d'une beau temps pour plusieurs jours. L'anticyclone est bien établi. J'aurai de l'Est, à l'aller comme au retour. Le froid, c'est rien, il suffit de se couvrir.

- Fils, dit familièrement la casquette bleue, tel que je te vois, tu iras loin : "Si tu veux vivre vieux marin, arrondit les pointes…

- … et salue les grains coupa Tim en souriant. Puis il demanda à la patronne de remettre une tournée.

Il n'y avait plus de pêcheur, plus de plaisancier. Il n'y avait que deux hommes de mer qui trinquaient. Ils avaient la même maîtresse, sauvage et tendre, douce et violente. Et ils s'étaient reconnus.

Quand il sortit du café, Tim vit que la mer avait commencé de descendre. Il se hâta d'avaler quelque chose de chaud, hissa les voiles, et se décolla doucement du quai.

"Avec cette petite brise, il va me falloir presque quatre heures" pensa-t-il.

Il avait choisi de dormir au mouillage, devant une petite plage de l'île. Après examen de sa carte, il savait qu'il serait abrité du vent nocturne.

Tim adorait les cartes marines. Il passait de longs moments à les détailler, passant d'un phare à une balise, d'une pointe à une anse, dont tous les noms le faisaient déjà rêver. Il tentait d'imaginer la réalité, de comprendre l'organisation du paysage marin, et gravait dans sa mémoire roches et zones de courant, afin d'éviter une mauvaise surprise, et de pouvoir goûter son plaisir totalement. Car vigilance n'était pas synonyme d'inquiétude, loin de là. Tim savait qu'il apprenait à chaque sortie, avec passion et humilité.

- L'école de la vie, de la vraie vie, se dit-il à haute voix. Il lui arrivait souvent de se parler.

Il dut arrondir une pointe malsaine, balisée d'une méchante perche, avant de mouiller son ancre par quelques mètres d'eau, sur fond de sable.

Le courant avait ralenti la traversée, et il faisait déjà presque nuit. Tim s'empressa de noter le cap de sortie, celui qu'il faudrait prendre si – tout est toujours possible – le vent venait à tourner, rendant intenable son abri d'un soir.

Le relief n'était pas bien haut, mais il suffisait à couper le vent, qui recommençait à se muscler, faisant entrer dans l'anse, en contournant la pointe, la petite houle qui berçait le bateau.

Avant de refermer le capot, Tim jeta un regard circulaire. Il ne put qu'à peine distinguer, à une centaine de mètres, la bande de sable blanc qui mourait dans l'eau sombre. Levant la tête, il se vit veillé par les premières étoiles. Il sut à ce moment qu'il avait sa place là, ce soir, dans cette solitude glacée que nul ne songerait à lui disputer. Il savait aussi, avec la certitude de ses sens, que sa nuit serait tranquille.

Demain il rentrerait, ses voiles appuyées par cette brise régulière qui l'amènerait jusqu'au port…
Guy - Octobre 2005



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mardi, octobre 25, 2005

MAJORQUE SANS MARINAS

Majorque reste sans doute la plus complète des îles Baléares, offrant ses hautes falaises de la côte ouest, ses plages au sud, ses calas innombrables à l'est, et les charmes de la côte Nord.

Les prix des marinas ont atteint en quelques années des sommets, réservant les escales dans les ports aux porte-monnaies bien garnis...

Il n'est pourtant pas impossible d'en faire le tour sans quasiment débourser. Car hormis les indispensables ravitaillements en eau et gas-oil, il est très faisable d'alterner les mouillages et les "à côtés portuaires"... Je n'apprendrai sans doute pas grand'chose aux habitués des lieux. Mon petit sujet s'adresse donc surtout à ceux qui auront le plaisir de découvrir ces eaux.


Disons tout d'abord que Majorque en pleine saison (Juillet-Aout) est quasiment saturée. Mais il est possible quand même de ne pas s'emmêler dans la chaîne du voisin. En ce qui concerne le sens de giration, celui-ci est trop aléatoire pour en conseiller un plus que l'autre. Il est toutefois courant de s'apercevoir que, longeant une côte vent debout, et contournant un cap avec changement de direction, celui-ci tourne également avec vous, et qu'on l'a encore dans le nez !

Partons quand même de la Baie de Palma au Sud de l'Ile, en direction de l'Est. Hormis la cala Pi, très étroite et bondée, le premier abri que l'on trouve est CAMPOS (Colonia San Jordi). Petit village majorquin resté assez authentique, on y trouve un bon mouillage devant le port, abrité du Sud par l'îlot La Guardia. (39°18'9 N - 3°00'14 E).


Les fonds y sont de tenue irrégulière, et le sable sera trouvé vers le fond, en lisière des bouées balisant la plage. Une descente en annexe est alors très facile. La superbe plage d'Es Carbo se trouve juste dans l'Est, abritée elle aussi du sud par l'îlot Moltona. A signaler que l'on peut couper entre l'îlot La Guardia et la côte. On y trouve au centre du passage environ 2 m d'eau. Les DI et catas peuvent également couper entre Moltona et la côte, ce qui évite le grand tour (environ 1 m d'eau)

Continuant vers le Cabo Salinas, on trouve deux calas sympathiques, Entugores et Caragol, cette dernière plus ouverte au SW. On distingue au Sud le petit archipel de Cabrera, formé de plusieurs îlots et d'une île principale. Le stationnement et le mouillage dans cette dernière sont soumis à autorisation (à demander à la Commandancia Militar de Palma).

Le passage du Cabo Salinas est absolument superbe. Les fonds de sable blanc créent une couleur d'eau turquoise, et l'on se croirait flotter dans une piscine. Le passage étant franc, la côte accore peut être longée de près sans danger.

Toute la côte SE de Majorque est indentée de multiples calas, dont je ne ferai pas l'énumération, celles-ci étant trop nombreuses. A chacun de les découvrir en fonction du vent dominant.

S'il ne fallait en citer qu'une, je parlerai de la Cala Mitjana (39°23'15 N - 3°14'93 E).
Elle fait un coude sitôt l'entrée, mais un mât de pavillon sur la rive permet de la repérer. Entièrement privée (sauf la mer, encore heureux !) on mouille au plus profond possible (en fonction de la place), cernés par pelouses, jardins et rocailles du plus bel effet.

Indépendamment des calas, cette côte compte 3 ports principaux, où l'on trouvera du ravitaillement. En allant du Sud au Nord, Porto Petro, Porto Colom et Porto Cristo permettent un abri sur, tout en restant au mouillage.

A Porto Petro,(39°21'64 N - 3°12'79 E) on mouillera juste à droite du petit port d'opérette.
Si l'on prévoit de rester à bord, il peut être possible de trouver un coffre vacant, quitte à le laisser libre à la demande.

Porto Colom (39°25'12 N - 3°15'94 E) offre un des meilleurs abris que l'on puisse imaginer. Une marina a été construite dans le fond. Mais de très nombreux coffres sont disponibles pour le passage devant les quais du vieux port.
Il est également possible de mouiller sur ancre dans l'anse SW de Bassa Nova, réservée au petits tirants d'eau (1 m à 1m50 d'eau). Une petite taxe est malheureusement demandée depuis peu, même dans ce cas. Mais le débarquement en annexe est très facile.

Porto Cristo est établi à l'embouchure d'une rivière.
Il est possible de mouiller juste après le premier coude, mais les places sont chères, et le trafic important ! A moins qu'une place se libère au quai public (rive gauche, face à la marina), aux tarifs relativement raisonnables.

Un dernier port se trouve avant le Cap de Pera, pointe NE de Majorque. C'est Cala Ratjada. Port de pêche relativement important, et surtout très... germanisé !

Passé le Cabo de Pera, la côte s'incurve vers le NW. Un abri peut-être trouvé dans la Cala Molto (39°43'71 N - 3°27'31 E), à peu de distance du cap.

Entre Cabo del Freu et Cabo Farrutx, la côte est accore, et peut être longée sans problèmes. Sur la route, on distingue un gros rocher isole, Farayo de Aubarca (ou Farallon). Le passage entre ce rocher et la terre est sain.

Entre Cabo Farrutx et Cabo Formentor, on trouve deux grandes baies ouvertes au NE : la baie d'Alcudia, et celle de Pollensa.

Juste au Sud de Cabo Farrutx, se blotti le petit refuge d'Es Calo (39°46'22 N - 3°20'02 E),
endroit superbe enchassé au pied de monts vierges de toutes habitations. Un petit môle au feu éteint permet des débarquements faciles, mais réservé au petits tirants d'eau (1m50 au pied).

Le fond de la Baie d'Alcudia n'a guère d'attraits : fonds malsains, paysage urbanisé (trop). Alcudia est un port de commerce et de plaisance important. Il est cependant très possible de mouiller pratiquement au pied des boutiques du port, et donc d'y faire un ravitaillement en annexe. les fonds sont de sable herbeux de bonne tenue. (39°50'22 N - 3°07'86 E)

A l'est du port, on trouve également un très agréable mouillage sous l'Ilot Aucanada, avec supermercado à proximité. Le passage à terre entre l'îlot et la terre est impraticable.

En continuant vers le Cabo del Pinar, qui sépare les deux baies, on trouvera un mouillage dans une nature superbe à Coll Baix, son seul inconvénient étant d'être souvent rouleur. (39°51'8 N - 3°11'31 E).

Le Cabo del Pinar faisant une sorte de pointe, trois petites calas se trouvent sur la face sud, côté Pollensa. Plages minuscules de sable blanc, elles sont malheureusement zone militaire, ce qui repousse le mouillage dans des fonds déjà importants (une dizaine de mètres).

En continuant de longer cette face SE de la baie de Pollensa, le minuscule port de Bonaire (El cocodrilo) permet un petit ravitaillement, en mouillant en dehors des jetées si le vent est favorable.

Un mot de la météo de cette baie en été. La brise de mer s'y établit très régulièrement de NE, se levant en fin de matinée, atteignant son maximum (force 4/5, rarement plus) en fin d'après-midi, et retombant le soir. Par contre des orages nocturnes s'y produisent assez fréquemment. Ils peuvent être violents.

Pollensa offre une zone de mouillage assez extraordinaire, dans le NW de la baie. Entre la pointe Avanzada (39°63'9 N - 3°06'6 E) et le port les fonds ne dépassent pas 3 m d'eau, sur une distance de plusieurs milles. Ce qui laisse de la place pour mouiller. On a que l'embarras du choix. De très nombreux bateaux sont mouillés là. Des corps-mort ont commencé d'être intallés. Avec un peu de chance, et par un matin calme, on peut trouver un bloc de béton (vestige de la guerre civile) sur lequel il est facile de s'amarrer (plongée dans 2 m d'eau).


Pollensa est un des endroits les plus chics de Majorque (les prix aussi d'ailleurs !) : succession de petites plages bordée de pins, architecture relativement préservée... Entre la marina proprement dite et la base d'hydravions (on y voit souvent des canadairs s'entraîner), ce n'est pas la place qui manque. Les fonds sont de bonne tenue, et l'eau presque trop chaude (manque de fond !) Un autre mouillage fréquenté est celui situé sur la face W de la pointe Avanzada.

En sortant de la baie de Pollensa, deux petites calas, Murta et Engossauba permettent un arrêt temporaire.

Le cap Formentor marque l'extrémité NE de Majorque. Etant totalement accore, il peut être longé de très près.

Toute la côte NW de Majorque offre une beauté sauvage. Le Puig Major culmine à plus de 1 400 mètres, et quand la mer est calme, on pourrait se croire naviguer sur un lac de montagne.

Par contre cette côte n'offre qu'un seul véritable abri, le port de Soller. Enchâssé entre les monts environnants, il permet un refuge quasi parfait, l'entrée étroite s'évasant ensuite en cercle. Une partie est réservée à la Marine Espagnole. Il serait question de l'adapter à la plaisance.
Peut-être cela est-il déjà fait ? Quoi qu'il en soit, un seul quai offre un nombre très restreint de places, et les bateaux restent au mouillage, juste à l'extérieur des bouées de plage. Mais les places sont chères... Si un équipier se sacrifie pour faire le "quart de mouillage", l'excursion à ne pas manquer est celle qui conduit du port à la ville de Soller, à l'intérieur des terres. Le petit tramway est des plus pittoresques, et la balade vaut le détour. Pour ceux qui ont plus de temps, on peut aussi rejoindre, à travers la montagne en passant de nombreux tunnels, la ville de Palma dans un train style "western". A faire si possible...

A certains cette côte pourra à la longue paraître monotone. Pourtant la beauté de cette côte en fait un endroit tout à fait remarquable. Peut-être la descente se fera-t-elle entièrement sous spi ? On peut toujours l'espérer. Dans le cas contraire, ce sera au moteur, jusqu'à voir l'île de la Dragonera, à la pointe SW de Majorque.

Juste en face celle-cile charmant village de San Telmo offre une bonne possibilité de mouillage, relativement peu fréquenté d'ailleurs.

La côte maintenant orientée au SW, indépendamment de plusieurs calas, certaines importantes (Paguera, Santa Ponsa), permet un abri au port d'Andraitx.(39°32'6 N - 2°23'8 E).
Une fois laissé sur la gauche la contre-jetée, on mouille juste avant le môle sud, sur des fonds de tenue moyenne (plaques de roches localement).

En allant sur Cala Figuera, qui marque l'entrée de Palma, on peut passer, en restant bien au centre, entre la côte et l'îlot del Toro.

Dans la baie de Palma elle-même, on trouvera plusieurs calas, abris temporaires (ou nocturnes si le temps le permet). A l'inverse de Pollensa, la brise de mer vient de SW dans la baie de Palma, aux mêmes horaires...

Un dernier mot des Iletas. Ce petit îlot permet un mouillage d'un côté ou de l'autre, en fonction du vent (39°31'8 N - 2°35'3 E).

On se trouve déjà là aux portes de la ville. Celle-ci comportant plusieurs marinas aussi saturées que chères, je n'en dirai rien, en regrettant toutefois son quai public bon marché, ou la possibilité de mouiller juste devant le paséo maritimo, toutes choses maintenant interdites...

mardi, juillet 12, 2005

LA MER LA PREMIERE FOIS


récit d'une croisière Açores-France en 1978


LA MER LA PREMIERE FOIS
Souvenirs de croisière Açores-France 1978
HORTA, île de Faïal – Açores. A mon grand regret, je n’ai pu voir de l’île que son port. Le temps manquait pour en faire la visite, et encore un contretemps imprévu (les affaires de Marc, l’un des équipiers, bloquées à Madrid) nous a permis d’y rester deux jours supplémentaires.

Horta reste pour moi un souvenir feutré, en demi-teintes, presque silencieux, et je n’en garde ni bruits, ni odeurs. Par contre les images fourmillent d’elles-mêmes et se bousculent…

Cet immense môle, que je longe pour la deuxième fois, où tant de noms sont gravés ou peints dans la pierre, certains célèbres, la plupart inconnus. Dessins naïfs ou œuvres d’art, ils se côtoient, se chevauchent, s’entre mêlent, parfois recouvrent un précédent témoignage. Eux aussi sont venus par la mer, repartis par la mer, ont aimé ce port et ce pays. Tous les récits de ces noms connus, de Slocum à Van de Wiele, disent la sauvage beauté des îles, la gentillesse de leurs habitants. Pour combien de temps encore ? …

Promenade solitaire, envie de s’échapper des autres ; de goûter mieux le pays, de recevoir des images aperçues en les approfondissant. Aujourd’hui à terre, demain la pleine mer. Le large…demain ? Instant qui passe et qui ne sera plus, plus jamais le même. Quelles heures me sont réservées ?

Le temps est toujours brumeux, empêchant de voir Pico nous dominer, mais que l’on sait présent, là, juste après le môle. Un de ces temps d’octobre français, avec la douceur de l’air en plus, qui vous enveloppe et vous sécurise. Ah quelle belle navigation nous allons faire ; que la mer me semble attirante quand la terre est accueillante, comme aujourd’hui.

Il faut faire un bon bout de chemin pour aller « en ville », passer devant les chantiers, le bâtiment des douanes. Ensuite le petit môle, auprès duquel sont nichées les baleinières, si délicatement peintes, et si fines : des barques de lac servant à la tuerie. Le harpon qui s’enfonce… la ligne qui file. L’ancestral métier tiendrait-il lieu de courage ?

Jour de fête, temps gris et joie au cœur. Depuis ce matin, Horta est prête. Les fanfares des autres îles sont toutes venues ; la sainte locale va être promenée dans les rues. Ici le profane se mêle au religieux de manière naturelle. Quelle ferveur et quelle foi émanent de ces gens simples, différents, préservés au milieu de l’océan. Les musiciens défilent lentement, s’arrêtant par moments pour attendre la suite du cortège. Puis viennent les écoles. Comme ils sont beaux, les enfants açoriens ! Leurs yeux sont aussi bleus qu’est noire la lave de leur pays. Etrange race, ou la consanguinité pourrait faire craindre les dégénérescences, et qui semble si pure. Le recueillement de la foule est réellement impressionnant. Est-ce de savoir le départ si proche qui me donne la folle envie de rester, d’en savoir plus sur ces gens attachants, de mieux les découvrir ? Rester, oui, ne rester que quelques jours encore. Ah ! si j’étais seul… Un jour, je reviendrai. ……………………………………………………………………………………………………………

Le vent a dégagé une partie du ciel, lui enlevant sa brume, amenant d’autres nuages. Le plan d’eau moutonne sous les rafales qui tombent des montagnes, et le mât vibre parfois. Le mauvais temps ? Bien sûr j’y pense ; peut-être nous attend-t-il au dehors. Mon baptême avec le large risquera d’être arrosé. Mais ne suis-je pas ici un peu pour çà ?

A mesure que le temps passe, la nervosité du reste de l’équipage me gagne. Rester plus longtemps, oui. Mais puisque je sais que ce n’est pas possible, alors partons. Est-ce l’inquiétude qui s’insinue en moi insidieusement ? Non, c’est une émotion difficile à exprimer, encore plus à maîtriser. La même que déclenchait la voix du chronométreur décomptant les secondes avant le départ, à l’époque des courses de côtes. Cette excitation des sens est pour moi le moment privilégié où rien ne s’est passé encore, mais où plus rien n’est également comme avant. Si je devais la résumer, ce serait par une pensée : « Désir de bien faire ». Mais n’est-ce pas à peu de choses près la devise qui figure en français sur le socle d’une statue, dans un jardin public d’Horta ?

Açores, Horta. Les images du début en amènent d’autres, les font ressurgir, reliées entre elles. …Port d’Horta, comment te quitter sans avoir évoqué le Café Sport, qui peut rassembler à lui tout seul toutes les nostalgies de tous les bistrots du monde ? Et Peter le patron, qui résume et personnifie les Açores et son tempérament si particulier : la gentillesse, le désintéressement surtout, devenu si rare de nos jours. …Où êtes-vous maintenant, compagnons d’escale, oiseaux de passage : anglais blond sur son fifty, gens du Galapagos, Damien et les autres ? …

Première nuit à bord du bateau. Le sommeil ne vient pas facilement. Les images défilent dans ma tête : l’avion, l’aéroport. Je me lève d’un seul bond, monte les marches de la descente et fixe, halluciné, la lumière orange et crue du pont d’un bâtiment de guerre portuguais accosté juste derrière nous. Le sommeil avait dû venir. …

Première rencontre : Marc dans l’avion qui nous amenait d’Espagne. Premiers contact avec les autres équipiers. Une bonne équipe, je crois. L’air est doux et le ciel clair. La promenade est belle pour aller en ville ;les affinités se dessinent, les plaisanteries fusent. Demain, c’est décidé, nous partons. Alors ce soir, dernier dîner à terre, avec beaucoup de beurre et de frites pour les Français, et du vin de Pico.

Faire du fuel, les dernières provisions, repérer les différentes manœuvres. Le vent souffle frais. Départ à la voile du quai. Toutes les images s’accélèrent. Nous sommes dehors. Au revoir Horta…

Plutôt agité le chenal de Faïal, et les premiers contacts avec la barre à roue sont vraiment…déroutants ! Beau sillage en dents de scie à cette allure de largue. De toutes manières, mes petits camarades semblent avoir les mêmes problèmes – sauf Michael et Philippe qui arrivent des Antilles – ce qui nous vaut notre première leçon de travaux pratiques par Raymond, notre skipper : - Tout en douceur… Moins vous la tournez, mieux ça se passe.

Ses yeux si bleus, délavés de toute l’eau de tous les embruns reçus au cours de ses années de bourlingue, ses yeux si souvent rieurs se sont fait graves. Sa bouche détache posément les mots, un par un, ainsi qu’il le fait chaque fois qu’il explique. Chercher à faire comprendre, aujourd’hui à nous, demain à d’autres ; sa passion de l’enseignement ne peut être dissociée de son amour de la mer. Raymond sans bateau ? Impensable, mais bateau sans élèves également.

Faïal se dilue dans le crépuscule ; Pico se montre enfin, pour un adieu, un signe de tête, le corps noyé dans les nuages. Les restes du repas pris dans le cockpit partent à la mer. Le barreur reste seul dehors ; la nuit nous enveloppe : première nuit en mer… Essayer de dormir… Prise de quart à deux heures.

Elie fait équipe avec moi. L’informaticien suisse né en Grèce, à la peau mate d’oriental, fixe intensément la rose du compas, masquée à moitié par la petite coupole de cuivre. Il a laissé pour un temps ses boîtes de lait Nestlé, mais gardé son accent.

Plus de vent. Nous glissons dans la phosphorescence à même pas un nœud. Inlassablement, les phares de Graciosa et Sao Jorge se répondent. Magie de la nuit. Douceur et calme. Ces soufflements discrets, ces traînées de lueurs verdâtres autour de la coque : nos premiers dauphins qui nous rendent visite. L’impression de dépaysement est alors totale : marsouins et douceur de l’air, quart de nuit et feux inconnus ; jolis moments d’émotion à retenir son souffle

Avec l’aube le vent est revenu, et nous nous permettons un changement de voiles d’avant. Graciosa commence à s’estomper dans une brume légère, Terceira se distingue loin sur tribord. Le large est devant nous, le vrai, celui qui ne nous fera plus voir de terre avant une douzaine de jours. Terceira, dernière vision des Açores…

L’air du large, qui gonfle la poitrine et les voiles du bateau, est là, et bien là. Largue, force 5 à 6, bleu profond et blancs moutons, ciel clair et soleil ardent. Mon Dieu que la navigation est jolie ! Je resterai ainsi toute la matinée à savourer mon plaisir, allongé sur la plage arrière, ma guitare entre les bras. ……………………………………………………………………………………………………

………. Quart de nuit, paupières lourdes et mal au crâne, qui s’amplifie. Que les heures sont longues ! Cette angine que je traîne depuis plusieurs jours, et que j’ai essayé d’ignorer depuis mon départ, ce mal qui me fait grimacer pour déglutir a gagné. Les heures passent, sans que je puisse trouver le sommeil, rythmées par le changement de quarts auxquels je ne participe plus, brûlant de fièvre.

Les jours passent ; un, deux, trois, quatre… Alors, allongé sur la couchette, ne me levant que pour avaler le bol de bouillon préparé par Raymond, je me demande ce que je suis bien venu foutre ici, et je me prends à détester cette vie en mer que j’aurais tant voulu aimer, à vouloir échanger n’importe quoi contre l’arrêt de cette navigation au près, bateau tapant dans les vagues. -

Tu comprends, dis-je à Marc, rien de ce que j’aime dans le bateau, je ne le retrouve en ce moment. Mais bien sûr, comment pourrait-il comprendre, lui qui est en bonne santé, et pour qui quart rime avec barre, repos avec dodo ?

Le vent siffle et souffle avec force en haut. Il fait nuit ; « Similou » fonce en aveugle et tape violemment dans chaque creux. Très soudainement, un fort coup de gîte ; la barre anti-roulis ne m’a retenu qu’à grand’peine. J’entends le barreur dire : « celle-là, je n’ai pas pu l’éviter ».

Un des gars traverse le carré, revient en tirant un sac à voile : Raymond a décidé de mettre le tourmentin. Et tout-à-coup, changement total, pour la même force de vent et de mer : le bateau est à la cape, et ne subsiste plus qu’un léger balancement ; même la voix des éléments semble s’être calmée.

De touts ces jours et ces nuits passées en bas, de ce brouillard confus de souvenirs enfiévrés me reste l’impression d’un mauvais rêve. Et puis doucement, j’ai repris ma place au sein de l’équipe. D’abord les quarts de jour, puis ceux de nuit. La croisière continuait.

Quarts de jour, à la barre, détendu, avec rien que la mer autour, cette visibilité sans limites, et une route à faire si petite, si étroite, qu’elle oblige l’œil à regarder le compas toutes les minutes.

Quarts de nuit, sans tendus, mots murmurés, lampe vite éteinte, carrés de chocolat au goût si savoureux. Il fait froid, et nous n’allons dehors qu’avec les cirés pas dessus les pulls et vestes, et de grosses moufles pour barrer. Où est la réalité d’un temps alizéen, rêvé depuis longtemps, et symbolisant pour moi cette traversée ? Brises folâtres, vents debouts, froidure d’automne. Non décidément, l’Atlantique à cette latitude ne peut jouer les tropiques.

Jour après jour, nous gagnons dans l’Est, et la route s’allonge sur la carte. Sextant, instrument magique. L’initiation est accomplie, et je tutoie maintenant le soleil, capable de ma situer dans l’univers liquide qui nous entoure. Impression visuelle d’être toujours au même endroit sur ce tapis mouvant, démentie par ces points portés sur la carte.

Les brises folles que nous recevons sur l’étrave nous obligent à tirer de longs bords, et le moment du point un souvent décevant au vu de cette couture en zigzag tracée sur le papier. La Corogne est sur tribord, à une centaine de milles. Rêve d’escale qui passe… Là aussi, revenir un jour, seul ; pouvoir décider de la poursuite ou de l’arrêt, pointer le nez du bateau vers où bon me semble, porter sur la carte les points nés de mes décisions. Patience… « Avant d’être capitaine », dit le proverbe. Je sais maintenant que tout est possible, si je le veux, et quand je le pourrai. …………………………………………………………………………………………………………….

Dernier quart de nuit. Nous allons voir la terre, la TERRE, aujourd’hui. Pour le moment, nous distinguons à peine l’avant du bateau, noyé dans un rideau de pluie dense. Pluie et vent, grondement sourd : l’orage est proche.

A quatre pattes, je progresse vers l’avant. A l’écubier, bien arrosé par les paquets de mer lancés à l’horizontale, je tire une bonne longueur de chaîne et reviens la frapper au pied d’un hauban, le reste pendant à l’eau : le mât servant de paratonnerre, la continuité du fer permet ainsi la « mise à l’eau » de la foudre… en théorie ! Je préférerais ne pas avoir à vérifier de visu. Une arrivée, ça s’arrose ! C’est trempé que je regagne le cockpit où Elie, ruisselant et stoïque, s’emploie à négocier les plus fortes vagues.

Et puis, comme toujours, après la pluie vient le beau temps. Et aux premières lueurs du jour, nous restons avec le quart montant, ne voulant pas laisser passer le moment où nous apercevrons la terre.

Et après le beau temps vient … la brume ! Depuis avant-hier, la gonio étant en panne, seule l’estime nous permet de nous situer vers l’île d’Yeu. Alors nous sommes tous sur le pont, sens tendus, les yeux rivés sur un horizon imaginaire, barré à un demi-mille par cette nappe d’ouate qui nous enveloppe dans son cocon. Le bateau à peine gîté se fraye un chemin par un vent léger. Quel contraste entre le calme des éléments et la tension que nous ressentons !

C’est au début très imprécis, une espèce d’aura sombre qui tranche sur la grisaille ambiante. Et puis, très vite, se dévoile la haute stature du phare des Chiens Perrins, la pointe nord-ouest de l’Ile. Intense émotion, joie explosée. Nous avons réussi un atterrissage parfait.

Nous voyons la terre pour la première fois depuis quatorze jours, depuis Terceira des Açores. Nous avons tendu le fil de notre route entre deux îles… Et cette vision, sortie de la brume à cet instant précis, tient pour moi de la magie ; tant il est vrai qu’en mer je ressentais l’impression d’être parti de nulle part pour arriver nulle part, d’être hors du temps et de l’espace… L’immatérialité, c’est peut-être la mer ? Que pourrais-je souhaiter d’autre qu’y retourner ?

lundi, juillet 11, 2005

GRAND DEPART ET BON PROFIL




Beaucoup en rêvent, certains le font... Partir en mer et vivre à bord, pour un an ou pour longtemps. Un choix de vie qui demande certaines dispositions...


Quand on parle du "grand départ", il est souvent question du bateau idéal, des destinations, des moyens de subsistance...

Mais "quid" du marin ou de l'équipage ?C'est pourtant de ceux-ci que dépendra en grande partie la réussite ou l'échec de l'expérience.

Certains sont sans doute plus doués que d'autres pour y accéder.C'est ce dont je me propose de parler ici...

Je crois qu'il faudrait d'abord tordre le cou à certaines idées reçues, dont l'énoncé, s'il se teinte d'humour, reflète à mon avis une conception bien réductrice du monde marin.Je pense là au "bateau qui est le moyen le plus lent, le plus inconfortable, etc...", ou encore "les deux plus beaux jours sont celui où on achète un bateau, et celui où on le vend..."

Celui qui, au fond de lui-même, pense qu'il y a là un fond de vérité n'est certes pas prêt pour le départ. Car il ne s'agit plus de faire des ronds dans l'eau, mais bien de changer radicalement de mode de vie, et justement de la passer en permanence entre le jour où l'on achète et celui où l'on revend.

Il faut donc à la base un amour du bateau assez fort pour lui consacrer son temps (et son argent, j'y reviendrai) et en faire un mode de vie.Ce qui pour l'un sera désagréments et peine paraîtra pour l'autre accomplissement et satisfaction. Cela élimine déjà pas mal de monde, simple constatation.

Il faut aussi naturellement avoir le goût des voyages. Mais secondairement, car si le voyage est la priorité, pourquoi pas un camping-car ? Comme je l'ai lu dernièrement, les "navigos" ne voient que rarement l'intérieur des pays visités. C'est sans doute vrai (à moins de disposer de suffisamment de moyens), mais il me semble que ce n'est pas la priorité, celle-ci restant la mer.

En partant, il faut bien se pénétrer du fait que ce qui était un loisir (navigation de week-end ou de vacances) va devenir un mode de vie à part entière (O combien), et le bateau son habitat pour de longs mois, ou plus.

Pour certains qui construisent, l'aboutissement marquera non seulement la fin de leurs efforts, mais aussi et surtout l'accès à cette vie nouvelle qu'ils attendent parfois depuis fort longtemps.

On peut supposer que pour se lancer dans une entreprise d'aussi longue haleine, leur amour de la mer et du bateau à voile ne soit puissant.Cependant on peut voir parfois certains constructeurs qui, sans trop vouloir se l'avouer, ont trouvé leur bonheur à façonner de leurs mains l'objet de leur rêve, plus que dans son utilisation ultérieure... et mettre en chantier le "mètre de plus".

Après tout, pourquoi pas ? "La foi est plus belle que Dieu..."

Il vient donc le moment de larguer les amarres. "Hisse le grand foc, tout est payé...".

Il est évident que, sans parler de fuite, avec tout le relent péjoratif que le mot comporte, le libre détachement des biens de consommation dont nous faisons notre ordinaire sera d'autant mieux vécu qu'il est non seulement subi, mais attendu, voir espéré.

Car à quoi bon partir sur un bateau à voile, si c'est pour recréer à bord ou à l'escale les conditions de vie que l'on vient de quitter ?

J'entends par là les mille et unes attaches qui nous relient au monde et à son tourbillon : télé, radios, journaux, magazines...

Certains se récrieront à ces lignes qu'on est plus au temps de Christophe Colom, qu'on est ni des Australopithèques ni des Néandertaliens.

je répondrai : avez-vous vraiment tenté de vous passer de toutes ces choses si indispensables ?

Alors si vous partez, faites un petit essai.Vous verrez que l'on s'y adapte très bien, et que l'on retrouve la saveur des veillées, la chaleur des rencontres et le goût pour les bons bouquins.

Mais bien sûr, chacun navigue comme il veut.On est libre.

Ah, la liberté justement ! N'est-ce pas elle que l'on recherche en bordant la grande écoute ?Eh oui, c'est sans doute l'une des clés du bonheur, et du bonheur sur l'eau. Mais il ne faut pas se leurrer.

Si l'on quitte ses chaînes, c'est pour en trouver d'autres.

Sans doute est-il plus libre, le gars qui part avec son sac à dos. Car le bateau demande que l'on s'occupe de lui (mais quand on aime, on ne compte pas), réclame une présence...

Libre aussi de pointer l'étrave où l'on veut, oui, mais dans un certain cadre quand même, en tenant compte des saisons...

Et puis sans doute, le plus important : pour jouir de sa vie nouvelle, il faut aussi être libre dans sa tête. La liberté ne se goûte bien que si elle s'accompagne d'une absence de soucis, ou à tout le moins leur réduction, dans toute la mesure du possible.

Soucis financiers : ceux-ci peuvent gâcher une grande croisière commencée sous de bons auspices. Si la vie sur l'eau génère du stress par manque de moyens, je doute que le bonheur soit au rendez-vous. Mais là aussi, tout est affaire d'échelle, et à chacun son minimum... .

Soucis familiaux ou affectifs, dans le sens large du terme. Un sujet rarement abordé, et pourtant combien important.

la solitude ne s'apparente pas pour moi à une "absence de liberté". Elle contribuerait plutôt à simplifier certaines choses...Ceci dit, il y a aussi des solitudes à deux, en mer ou pas. La grande majorité des "voyageurs marins" étant en couple, je pense que là encore certaines dispositions sont nécessaires pour une navigation au long cours harmonieuse.

Un couple, c'est deux personnes. Deux gars, un homme/une femme... Ce qui est important, c'est de regarder dans la même direction, avec un but et des goûts communs. Je ne sais si à terre il y a des "différences qui enrichissent", mais je crois bien qu'en mer elles séparent plutôt.A bord ou aux escales, il y a peu d'échappatoires possibles, et nul doute qu'un couple qui s'entend moyennement à terre ne finisse par se tourner le dos en mer.C'est d'ailleurs une cause fréquente d'échec du voyage.

Les valises affectives, ce sont aussi celles que l'on laisse derrière soi, à terre. Et ce ne sont pas les plus faciles à gérer. A ceux qui restent, et qui s'inquiètent du départ des pigeons voyageurs, ou qui s'en attristent, je dirai qu'"aimer, c'est vouloir le bonheur des autres, sans forcément y prendre part".

Le bateau est solide ? L'équipage vaillant ?Les valises pas trop lourdes, et la liberté s'ouvre à vous...

Il m'a semblé que la curiosité et l'altruisme, alliés à une certaine extraversion et une disposition pour les langues étaient des atouts à mettre au crédit d'un voyage réussi.

Nul n'est parfait, et chacun fait avec ce qu'il a. Cependant certains auront plus de facilités que d'autres pour se couler dans le moule marin. Cela ne tiendra certes pas à la taille du bateau, mais bien à la possession de valeurs en adéquation avec ce genre de vie.Une vie si différente, qu'ici peut-être plus qu'ailleurs encore, l'"important, c'est d'aimer".

mercredi, juin 29, 2005

UNE DROGUE DURE...




"Mon île, je l'ai cherchée loin et longtemps, jusqu'au jour où j'ai compris que mon île, c'est mon bateau" (G. Janichon)

Depuis les trois dernières années, où j'ai eu la chance de vivre à bord de mon bateau, d'alterner ports et mouillages, hivernages et croisières, j'ai souvent pensé à cette phrase, surtout ces derniers temps, avant d'arrêter pour des raisons indépendantes de ma volonté...

Certains vont chercher leur île à l'autre bout du monde, alors que la vie permanente en bateau est déjà un monde à part entière, qui n'est comparable à rien d'autre. S'ils peuvent y ajouter les joies procurées par un grand voyage, nul doute qu'ils y trouvent leur bonheur.

Le monde des nomades nautiques ne peut être compris que par ceux-là mêmes qui le constituent. Un monde de grandes joies et de petits plaisirs quotidiens, de découvertes, non seulement une collection de cartes postales, mais bien celui riche et varié des rencontres humaines qu'il procure. Nous sommes tous alors reliés par la même passion, et surtout nous partageons le même mode de vie ; et c'est sans doute là le principal.

Oh! bien sur tout n'est pas toujours rose, il y a le prix à payer pour cette forme de liberté : les galères diverses, les emmerdes de moteurs, les nuits quasi blanches, et même parfois les petites prières pour que "ça tienne", ou que ça ne "s'énerve pas plus»

Mais quand ça s'arrête, quand on doit reposer le sac à terre, retrouver des modes de vie qui nous étaient devenus étrangers, des soucis dont nous n'avions plus idée, l'étrange agitation du monde qui nous entoure, alors là, qu'est-ce que ça fait mal ! C'est une amputation sans anesthésie. Un vide, un état de manque... Oui, le voyage sur la mer, la vie en bateau, est une drogue, une drogue dure.
Pour ma part, je n'attends que le moment où je pourrai repartir, afin de retrouver le monde marin. Je ne sais si c'est celui du bonheur, mais bien celui qui me convient le mieux.